On suspend un fil à un crochet, quelque part sur la longueur on l’écarte de sa position d’équilibre et on le lâche… Quelle est alors la courbe décrite par ce fil ? Daniel Bernoulli rencontra le problème en 1732 et donna sa solution qui fait appel aux fonctions de Bessel, lesquelles ne seront réellement étudiées que beaucoup plus tard par l’astronome allemand Friedrich Bessel en 1824.
Soit donc un fil pesant de longueur l, homogène et non rigide, attaché à une extrémité A. Au repos il pend verticalement (on peut faire le montage avec une chaîne dont les maillons sont suffisamment petits). Nous écartons le fil de sa position d’équilibre et nous nous intéressons aux petites oscillations planes du fil. On appelle (Ox) l’axe vertical et (Oy) l’axe horizontal, soit également la densité du fil.
Prenons deux points M et M’ voisins sur le fil : la force f qui agit sur le segment [MM’] (supposé de longueur unité, mais ça ne change rien à l’affaire) est la projection horizontale de la tension T du fil quand on passe de M à M’, on a donc d’où et la différentielle suivant les x est alors . Par ailleurs la tension est compensée verticalement à la hauteur x sur le segment [MM’] par d’où ; par ailleurs la force d’inertie horizontale sur le segment est d’où l’équation du mouvement :
(1.a.1) .
Cette équation a bien sûr des tas de solutions possibles, aussi limitons nous aux fonctions sinusoidales de t : ; nous obtenons alors et , de même et d’où après simplification l’équation :
(1.a.2)
Nous faisons un essai de résolution numérique avec l‘ordonnée maximale l = 1000, l’écart initial en y de 10 et diverses valeurs de :
fig. 1 : résolution numérique (Excel)
Pour chaque valeur de la pulsation on obtient une fonction différente, mais on peut comparer avec l’équation des ondes et se dire que l’on peut trouver une solution générale…
On peut opérer en utilisant la méthode d’intégration par les séries, ce qui va effectivement donner une fonction déterminée, la fonction de Bessel d’ordre 0, mais plutôt que de faire ce travail dans le cas particulier du fil nous allons généraliser à l’équation de Bessel dont un cas particulier est l’équation du fil.
(1.b.2)
(1.b.3)
Dans le cas où n’est pas entier, les fonctions et sont linéairement indépendantes et forment une base de l’espace des solutions : en effet, la fonction ne prend des valeurs infinies que pour des valeurs entières, aussi lorsqu’on fait tendre z vers 0, tend vers 0 (à cause du terme ) alors que la fonction tend vers l’infini (à cause du terme ). On a donc la forme générale des solutions, également appelées fonctions cylindriques :
(1.b.4) .
Dans le cas où est entier égal à n on a , or si k est un entier négatif, donc tous les termes de sont nuls jusqu’à un rang r’ où r’ est le dernier entier pour lequel r–n+1<0 ; nous pouvons alors écrire
(1.b.5)
et nos deux fonctions ne sont plus indépendantes. Comme l’équation de Bessel est d’ordre 2, l’espace des solutions l’est également, il nous faut donc trouver une deuxième solution…
fig. 2 :
représentations de la fonction
(animations pour sur http://promenadesmaths.free.fr/Bessel/BesselJ.htm)
Nous allons chercher une fonction telle que
;
il est clair que si n’est pas entier on retombe sur une solution particulière de (1.b.1) ; par contre si on fait tendre vers un entier n, la fonction Y se présente comme une forme indéterminée ( ) ; appliquons la règle du marquis de l’Hospital :
Il nous faut donc calculer la dérivée de : utilisons le développement en série
:
Faisons tendre vers n, la dérivée logarithmique de est la fonction digamma : d’où
pour nous utilisons la formule des compléments :
,
soit en séparant la sommation à l’ordre n−1, n étant l’entier immédiatement supérieur à :
On remplace (1.c.2) et (1.c.3) dans (1.c.1) :
.
C’est la solution dite de Weber(on trouve d’autres écritures comme N pour fonction de Neumann). Pour n = 0, le deuxième terme de la formule est nul.
fig. 3 :
représentations de la fonction (animations pour :
sur http://promenadesmaths.free.fr/Bessel/BesselY.htm)
On définit également les fonctions suivantes :
- fonction de Bessel modifiée de première espèce :
(1.c.4) ,
- fonctions de Hankel (1) et (2) ou fonctions de Bessel du troisième type :
(1.c.5) et ,
on obtient mal des expressions de J et Y en fonction des fonctions H (on peut remarquer que si J joue le rôle de cos, Y celui de sin, alors H(1) et H(2) jouent celui des exponentielles…) :
(1.c.6) , .
- fonction de Bessel modifiée de deuxième espèce :
(1.c.7) .
Notons la solution générale de l’équation (1.b.1)
.
En faisant le changement de variable on obtient et d’où
(1.d.1) .
Pour cette équation la solution générale est .
Prenons maintenant l’équation
et faisons le changement de fonction : , nous avons alors et d’où en remplaçant :
.
Si on choisit p tel que on a ; cette équation a pour solution d’où la solution de (1.d.2) : .
La dernière et la plus générale : soit l’équation de Bessel généralisée
en combinant les deux méthodes précédentes, à savoir poser puis on aboutit (c’est franchement laborieux…) à la solution générale
avec .
Comme nous l’avons dit précédemment on retrouve l’équation de Bessel dès que l’on se frotte à l’équation des ondes : en coordonnées cylindriques le laplacien s’écrit (voir Analyse vectorielle)
d’où l’équation des ondes dans ce cas s’écrit ; pour les mêmes raisons que celles indiquées au ch. 11, Transformée de Fourier, les solutions sont toujours décomposables sous la forme et l’équation devient .
Cherchons alors F sous la forme d’un produit de Laplace :
,
soit
Les deux premiers termes sont indépendants de z, on doit donc avoir d’où les solutions pour Z : et . En tout cas on obtient pour (1.e.1) :
Le même raisonnement que précédemment nous amène à poser d’où une nouvelle fois les solutions (ce cas ne se rencontre que rarement dans la pratique : le rayon vecteur ne revenant pas alors à son point de départ : solitons peut-être) et : dans ce cas pour que la fonction soit périodique il faut que soit entier.
Revenons à notre équation (1.e.2) qui devient , soit enfin
.
On a donc quatre combinaisons possibles : on rappelle que pour
la solution est avec .
(1.e.3) : a = 1, p = 0, , d’où et (K constante complexe) ;
(1.e.4) : a = 1, p = 0, , d’où et ;
(1.e.5) : a = 1, p = 0, , d’où et ;
(1.e.6) : a = 1, p = 0, , d’où et .
Dans tout ça il faut éliminer les solutions non réelles et les solutions négatives :
pour (1.e.3) si nous pouvons poser d’où la solution ;
pour (1.e.5) et (1.e.6) la signification physique de n’est pas claire et à priori pas intéressante.
Au final les solutions sont donc , soit quatre combinaisons possibles (en ne tenant pas compte des solutions sans signification physique claire, ce qui est un peu gènant car dans le cas où on prend des coordonnées rectangulaires le nombre de combinaisons est de huit).
Lorsque l’axe (Oz) fait partie du domaine d’existence de la fonction (ce n’est pas le cas par exemple dans le cas d’un cylindre creux), f doit prendre des valeurs finies pour , ce qui élimine les solutions Y et K (qui contiennent toutes les deux un log).
Il est intéressant de remarquer que si on a un sens de propagation de l’onde vers les z positifs, on a grosso-modo et où et sont deux complexes. Il doit être alors particulièrement intéressant de passer par les quaternions ou le hypercomplexes pour exprimer les solutions de manière plus générale (mais peut-être est-ce ce qui se passe lorsqu’on utilise les matrices de Pauli en mécanique quantique).
La solution pour le cylindre donne également la méthode de résolution pour la sphère de centre O ou pour un cône de sommet O. L’équation des ondes s’écrit dans ce cas (après résolution de la question du temps de la même manière) :
.
Si on compare l’équation obtenue avec l’équation (1.d.3), on voit qu’il faut prendre a = 1, b = k, c = 0, p = −1.
On a alors , soit avec , (notez le retour du obtenu pour le pendule…). Pour x = 0 on doit avoir des valeurs finies de , ce qui interdit de garder Y0, il reste simplement d’où comme la solution générale était de la forme , la solution
.
Par ailleurs pour x = l on doit avoir y = 0, le nombre est donc un des zéros de J0, nous avons alors et comme ces zéros sont en quantité infinie et tous différents il y a un nombre infini de modes de vibration.
fig. 4 :
solutions de l’équation du fil pesant
(animation : http://promenadesmaths.free.fr/Bessel/Bessel_fil.htm)