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De la supputation des logarithmes

 

Par Jacques Ozanam (1670), réédition de 1765, chez Jombert, Paris.

 

Les Logarithmes sont des nombres en proportion Arithmétique, correspondans à d’autres nombres en proportion Géométrique, desquels ils sont appelés Logarithmes. Comme il est libre de prendre telle progression que l’on voudra, on choisira la plus commode, qui est la progression décimale pour la proportion Géométrique, & la progression des nombres naturels pour l’Arithmétique ; en sorte pourtant que le premier nombre Arithmétique, qui correspond au premier Géométrique, ou à l’unité, soit 0 ; c’est-à-dire, que le Logarithme de l’unité soit 0, pour rendre plus commode l’usage des Logarithmes, comme on le verra dans la suite.

Ainsi le Logarithme de 1 est 0, de 10 est 1, de 100 est 2, de 10000 (dans le texte) est 3, & ainsi de suite ; mais parce que dans la pratique on a besoin des Logarithmes des nombres moyens 2, 3, 4, 5, &c, & que ces Logarithmes ne peuvent être exprimés qu’en fractions, on se servira aussi de la progression décimale pour la facilité du calcul, en ajoutant un certain nombre de zeros à chaque terme de la progression Arithmétique, plus ou moins, selon que l’on voudra avoir des Logarithmes plus ou moins exacts, comme vous voyez ici. Ainsi nous supposerons que le Logarithme de 10 est 1.000000, que le Logarithme de 100 est 2.0000000, de 1000 est 3.0000000, &c, ensuite de quoi il faut trouver les Logarithmes des nombres moyens 2, 3, 4, 5, &c, ce que nous ferons après avoir expliqué la nature & les propriétés des Logarithmes dans les Propositions suivantes.

 

Proposition I

De quatre quantités en proportion Arithmétique, la somme des deux extrêmes est égale à la somme des deux moyennes.

Si les quantités AB, AC, AD, AE, sont en proportion Arithmétique, en sorte que l’excès BC de la seconde AC sur la première AB, soit égal à l’excès DE de la quatrième AE sur la troisième AD ; je dis que la somme de AB, & de AE des deux extrêmes est égale à la somme de AC, & de AD des deux moyennes, car la somme des extrêmes est AB, plus AD, plus DE ; la somme des moyennes est AB plus BC, plus AD. Donc BC étant égale à AD, chaque somme est composée de choses égales, comme il est aisé de le voir.

 

Proposition II

De trois quantités en proportion Arithmétique, la somme des deux extrêmes est égale au double de la moyenne.

Cette Proposition est un Corollaire de la précédente ; car quand on a trois quantités arithmétiquement proportionnelles, c’est comme si l’on en avoit quatre, dont les deux moyennes fussent égales, & alors la somme des deux extrêmes est (par la Proposition précédente) égale à la somme des deux moyennes ; c'est-à-dire, au double de la moyenne ; Ce qu’il falloit démontrer.

 

Proposition III

La somme des Logarithmes de deux nombres entiers est égale au Logarithme de leur produit, lorsque le Logarithme de l’unité est 0.

Proposons, par exemple, les deux nombres entiers 4, 6, dont le produit est 24 ; je dis que le Logarithme de 24 est égal à la somme des Logarithmes de 4 & de 6, le Logarithme de l’unité étant 0. Car puisque 24 est le produit de 4 & de 6, ces quatre nombres 1, 4, 6, 24, seront en progression Géométrique ; c’est pourquoi leurs Logarithmes seront en progression Arithmétique, & (par la I) la somme des deux extrêmes, c’est-à-dire, la somme des Logarithmes de 1 et de 24, sera égale à la somme des deux moyennes, ou à la somme des Logarithmes de 4 & de 6 ; & parce qu’on suppose que le Logarithme de 1 est 0, le seul Logarithme de 24 sera égal à la somme des Logarithmes de 4 & de 6, qui produisent 24. Ce qu’il falloit démontrer.

 

Remarque

On voit ici la raison pour laquelle on a supposé le Logarithme de 1 égal à 0 ; c’est afin déviter la soustraction du Logarithme de l’unité, qu’il faudrait faire ici, ainsi que dans les propositions 5 & 6, ou bien son addition dasn d’autres cas, comme dans la Proposition suivante.

 

Proposition IV

La différence des Logarithmes de deux nombres entiers est égale au Logarithme de leurs quotiens, lorsque le Logarithme de l’unité est 0.

Proposons, par exemple, les deux nombres entiers 6, 24, dont le quotient est 4 ; je dis que le Logarithme de 4 est égal à la différence des Logarithmes de 6 & de 24, le Logarithme de l’unité étant 0. Car puisque divisant 24 par 6, il vient 4, ces quatre nombres 1, 4, 6, 24, seront en progression Géométrique, & leurs Logarithmes en progression Arithmétique, & l’on connoîtra, comme auparavant, que le Logarithme de 24 est égal à la somme des Logarithmes de 6 & de 4 : c’est pourquoi, si du Logarithme de 24, on ôte le Logarithme de 6, la différence sera le Logarithme 4. Ce qu’il falloit démontrer.

 

Proposition V

Le Logarithme d’un nombre est la moitié du Logarithme de son quarré, et le tiers du Logarithme de son cube, lorsque le Logarithme de l’unité est 0.

 Proposons, par exemple, le nombre 6, dont le quarré est 36, & le cube est 216 ; je dis premièrement que le Logarithme de 6 n’est que la moitié du Logarithme de son quarré 36, car puisque le quarré 36 est le produit de 6 par 6, son Logarithme sera égal à la somme des Logarithmes de 6 & de 6 ; c’est-à-dire, au double du Logarithme de 6 (par la I) ; d’où il suit que le Logarithme de 6 est la moitié du Logarithme de son quarré 36. Ce qu’il falloit démontrer.

Je dis en second lieu que le Logarithme de 6 est le tiers du Logarithme de son cube 216. Car puisque 216 est le produit de 6 & de son quarré 36, son Logarithme sera (par I) égal à la somme des Logarithme de 6 & de 36, c’est-à-dire, au triple du Logarithme de 6, parce que le Logarithme de 36 a été démontré double du Logarithme de 6. D’où il suit que le Logarithme de 6, n’est que la tiers du Logarithme de son cube 216. Ce qui restoit à démontrer.

 

Proposition VI

Trouver entre deux nombres donnés un moyen Géométrique proportionnel.

Si on multiplie ensemble les deux nombres donnés, on aura (par 20. 7) le quarré du moyen ; c’est pourquoi si on prend la racine quarrée de ce produit, on aura le moyen que l’on cherche. D’où il suit que si l’un des deux nombres donnés est l’unité, il n’y a qu’à prendre la racine quarrée de l’autre, pour avoir le moyen proportionnel qu’on demande.

 

 Proposition VII

Entre deux nombres donnés, trouver un moyen proportionnel Arithmétique.

Si on ajoute ensemble les deux nombres donnés, on aura (par la 2) le double du moyen ; c’est pourquoi si on prend la moitié de cette somme, on aura le moyen qu’on cherche. D’où il suit que quand l’un des deux nombres donnés est 0, il n’y a qu’à prendre la moitié de l’autre, pour avoir le moyen qu’on cherche.

 

 Proposition VIII

Trouver le Logarithme d’un nombre proposé.

Pour trouver le Logarithme d’un nombre donné, comme 9, qui est entre 1 & 10, dont on connoît les Logarithme 0.0000000 et 1.0000000 ; ou 0.00000000, 1.00000000, (en les augmentant chacun d’un zéro, pour avoir plus exactement le Logarithme qu’on cherche à cause des fractions qui restent après la dernière figure) augmentez aussi les deux nombres 1, 10 & tous les autres de la progression Géométrique, d’autant de zéros que leurs Logarithmes en contiennent, comme ici de sept zéros, pour avoir exactement dans le
 

même nombre de figures le Logarithme du nombre proposé 9, qui alors vaudra autant que 9.0000000, comme 1, vaut autant que 1.0000000, que nous appellerons A ; & 10, autant que 10.0000000, que nous appellerons B : après cela il faudra procéder ainsi ;

Cherchez (par la 6) entre A & B un moyen Géométrique proportionnel C, qui est moindre que le nombre proposé 9.0000000 ; c’est pourquoi, pour approcher davantage de ce nombre 9, il faudra chercher entre les deux proches B & C, un second moyen proportionnel D. Ce nombre étant encore moindre que le nombre proposé 9.0000000, & plus proche que le nombre trouvé C, on cherchera entre ce plus proche C, & le plus grand B, un troisième moyen proportionnel D, qui est encore moindre que le nombre proposé 9.0000000 ; c’est pourquoi l’on cherchera entre ce plus proche D & le plus grand B, un quatrième moyen proportionnel E, qui est encore moindre que le proposé 9.0000000 ; on cherchera donc de nouveau entre ce prochainement moyen E, & le plus garnd B, un quatrième moyen proportionnel F, lequel quoique moindre que 9.0000000, en approche plus que le précédent D. On cherchera par cette raison, entre ce prochjaimnement moyen F, & le plus grand B, un cinquième moyen proportionnel G, qui se rencontrant ici plus grand que 9.0000000, on doit chercher entre ce plus grand G, & le plus peti F, un sixième moyen proportionnel H, qui est bien moindre que 9.0000000, mais non pas avec une si grand différence que F. Ainsi, entre ce prochainement moindre H, & le prochainement plus grand G, on doit chercher un septième moyen proportionnel I, qui est plus grand que 9.0000000, mais non pas avec un si grand excès que G. C’est pourquoi entre ce prochainement plus grand I, & le prochainement moindre H, il faut chercher un huitième moyen proportionnel K, lequel quoique plus grand que 9.0000000, en approche encore davantage que le précédent I. Ainsi en continuant à chercher entre le prochainement plus grand des moyens Géométriques proportionnele, on aura des nombres qui approcheront toujours de plus en plus du nombre proposé 9.0000000, lequel enfin se trouve ici le vingt-sixième moyen Géométrique proportionnel, dont le Logarithme sera connu sans peine ; car comme entre les nombres A, B, on a trouvé un moyen proportionnel Arithmétique, on aura le Logarithme du moyen proportionnel Géométrique C. C’est de la même façon que les Logarithmes des autres moyens Géométriques se découvriront, & par conséquent le Logarithme du dernier 9.0000000 ou du nombre proposé 9, dont le Logarithme se trouve tel, 0.95424251, ou 0.9542425, en retranchant la dernière figure 1, vers la droite, à cause du zéro de surplus que nous avons ajuté au commencement.

On trouvera de la même façons les Logarithmes des autres nombres entre 1 & 10, & des nombres entre 10 & 100, & pareillement des nombres entre 100 & 1000, & ainsi de suite. Mais cette méthode ne se doit appliquer qu’aux nombres premiers, c’est-à-dire, qu’aux nombres qui ne sont pas divisibles par d’autres ; car quand ils sont composés, & que l’on connoît les Logarithmes des deux nombres qui le produisent par leur multiplication, il est évident (par la 3) que la somme de ces deux Logarithmes sera les Logarithmes du nombre composé. Ainsi ayant trouvé le Logarithme de 9, le double de ce Logarithme sera le Logarithme de 81, quarré de 9 ; & la moitièdu même Logarithme, sera le Logarithme de 3, racine quarrée de 9 ; ainsi des autres. Nous allons parler plus particulièrement des Logarithmes dans l’article suivant.

 

Remarque

Les Géomètres ont actuellement des méthodes pour calculer les Logarithmes à moins de frais. Mais il a fallu que les premiers Calculateurs de ces nombres ayent dévoré toute l’horreur d’un grand nombre d’opérations semblables à celles que nous venons de décrire. Que ne leur doit-on pas pour avoir eu un courage si héroïque ?  L’inventeur des Logarithmes est un Baron Ecossois, nommé Neper, qui les proposa vers l’année 1620. Ensuite Henri Brigg, Anglois, & Adrien Wlacq, Hollandois, calculèrent les premières tables étendues de Logarithmes qu’ayent eu les Géomètres, & se sont fait un nom immortel par le service qu’ils ont rendu aux mathématiques.